Après quatorze ans, je n’ai pas continué mes études. Je ne l’ai d’ailleurs jamais envisagé. Travailler immédiatement à la ferme familiale était le lot de l’immense majorité des filles d’agriculteurs. Et si je manquais d’occupations, j’étais très sollicitée ailleurs, dans des exploitations voisines ou chez des viticulteurs du Layon à la saison des effeuillages et pour les vendanges. Le jeudi était jour de marché à Chemillé. Il y avait affluence dans les commerces. J’étais embauchée comme vendeuse à Chemille au Bon marché, le magasin de confection. Occasionnellement, le dimanche, le bar de l’hôtel de Gonnord, Le Relay du Layon, faisait appel à moi pour renforcer l’équipe qui servait en salle.
J’ai également enfilé du tabac. Ce travail qui a disparu aujourd’hui mérite d’être conté. Le vérificateur de la Régie ayant donné au planteur le feu vert pour la récolte courant août, on commençait à cueillir les feuilles du bas de la plante, les plus petites. Selon la croissance et la décision du vérificateur, suivaient les cueillettes des feuilles médianes et supérieures. Pour le transport retour à la ferme, les feuilles étaient rassemblées en bottes maintenues par des lanières en tissu ou en cuir.
Sitôt déchargées sous le hangar, les bottes de feuilles étaient confiées aux femmes pour l’enfilage. Pour ce travail, l’entraide était courante entre voisins et se faisait dans une joyeuse ambiance. Une aiguille de vingt-cinq centimètres environ me servait à l’enfilage des feuilles sur une ficelle d’environ un mètre cinquante, à distance égale, pour favoriser le séchage. La face de la nervure devait toujours être du même côté. Les enfants participaient à cette opération en enfilant les feuilles sur les aiguilles... Heureusement, une machine à enfiler a par la suite permis d’accélérer la constitution de ces guirlandes et a soulagé notre travail. Selon la hauteur du séchoir, jusqu’à huit guirlandes étaient ensuite accrochées sur des liteaux pour les maintenir bien tendues et faciliter l’opération de séchage.
Début novembre débutait la préparation des manoques qui consistait à faire des bottes de vingt-cinq feuilles séchées. Celles qui étaient déchirées ou trouées étaient mises à part. La vingt-cinquième feuille était celle enroulée à l’extrémité de la manoque. Quarante manoques étaient serrées dans une caisse afin de faciliter le ficelage de la grande botte qui pesait une dizaine de kilos.
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Parallèlement, je suivais à Chemillé les cours de l’école ménagère. Un jour par semaine, pendant trois ans de septembre à juin, nous apprenions à cuisiner, à coudre, à dessiner des vêtements, à reconnaître des plantes, à jardiner. Puériculture, hygiène, économie domestique, comptabilité, législation… étaient également au programme. Cela ne me passionnait pas mais il fallait en passer par là.
Dans la France rurale, le public de ces écoles ménagères était principalement composé de jeunes filles qui, comme moi, complétaient ainsi leur scolarité primaire pour se préparer ainsi à la vie et aux travaux de la maison.
Ces cours ménagers ont eu un fort développement au début des années 1950 car ils sont alors devenus obligatoires pour toutes les jeunes filles de quatorze à dix-sept ans. Cela ne s’est pas poursuivi après 1960. À cette date, la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à seize ans a changé la donne.
Tout comme l’évolution culturelle, liée au développement de l’industrialisation et de l’urbanisation, a bousculé fortement la répartition des tâches entre femmes et hommes.