La guerre à Préfailles
(...) En septembre 1939, la déclaration de guerre nous a surpris à Préfailles où nous finissions nos vacances au bord de la mer. J’étais sur le perron de la villa. C’était une journée de fin d’été très belle. Nous sommes rentrés précipitamment à Nantes, Papa étant mobilisé. Il avait trente-sept ans. Maman l’a conduit au train. Il a été affecté dans le nord.
En juin 1940 pendant la retraite, il a été fait prisonnier à Châteaubriant. Sur l’insistance de Maman – mais quoi de plus normal – Odile et moi lui écrivions pratiquement toutes les semaines pour lui donner des nouvelles et le tenir au courant de nos résultats scolaires.
À Châteaubriant, nous avions des cousins côté C..., les S.... Ayant fini par découvrir où mon père était détenu, ils ont essayé de lui faire passer du pain. Non sans difficultés, des prisonniers leur ayant arraché des mains quasiment tout ce qu’ils avaient apporté.
Dans le camp, une épidémie de dysenterie s’est rapidement déclarée. Papa qui avait depuis toujours des ennuis intestinaux – avant guerre il partait régulièrement en cure pour se soigner – a pu joindre son épouse pour qu’elle retrouve et fasse parvenir des radiographies aux médecins français qui, sous le contrôle de confrères allemands, intervenaient dans le camp. Il a ainsi pu être libéré après quelques mois de détention.
Papa est arrivé sans prévenir. Autre surprise plus anecdotique : il s’était laissé pousser une petite moustache. Nous étions alors à Préfailles depuis plusieurs mois.
Dans l’espoir d’un quotidien meilleur, beaucoup de familles, comme la nôtre, avaient quitté les villes pour se réfugier dans leurs propriétés à la campagne ou dans leurs villas balnéaires. Il y avait même une école parisienne dans le haut du village. Pendant une année scolaire, Odile et moi y avons suivi nos études.
Cet hiver 1940-1941 a été particulièrement rigoureux. Nous marchions en sabots et portions de grosses chaussettes de laine. Maman nous avait confectionné de grandes capes. Il neigeait. À la sortie des classes, nous étions toute une bande à dévaler à toute vitesse la grande rue blanche de neige ou à sauter de rochers en rochers à la recherche de stalactites que nous sucions avec joie. On se régalait… de ces sucettes à disposition, avant de regagner la maison où nous attendait un chocolat chaud préparé par Maman.
Les offices religieux avaient lieu à La Plaine-sur-Mer. Nous nous donnions rendez-vous entre amis à Préfailles et empruntions des petits chemins pour parcourir à pied les deux kilomètres et demi qui nous séparaient de l’église. Dans l’assistance, il n’y avait que des enfants et des mères de famille, les hommes étant détenus ou étant restés en ville pour travailler. Nous accompagnaient les D...G, les T.., les E..., les B.... J’avais onze ans, la guerre me semblait loin.
Nous avons passé ce Noël 1940 à Préfailles. Un sapin décorait le salon. Il faisait froid. Très froid même. Un unique et modeste poêle réchauffait le rez-de-chaussée. Odile et moi couchions à côté. Dans le même lit. Nous nous disputions beaucoup. Comme depuis toujours. Mais prenant de l’âge et des forces, je la menaçais – enfin ! – de la mettre par terre. Maman dormait au premier. Lorsque nous montions l’embrasser dans sa chambre glaciale, le seul fait de toucher ses draps nous frigorifiait. Ses rares distractions étaient la visite de sa nièce Solange et de ma tante Thérèse, la plus jeune sœur de son mari que nous apprécions beaucoup. Infirmière, elle a épousé à la fin de la guerre, un militaire polonais, M. S..., rencontré et soigné à Nantes pendant les derniers mois du conflit.
En villégiature à Préfailles, ces deux parentes ont été mises à contribution par Maman pour l’aider à nous débarrasser… des poux. Elles nous ont imbibé au pinceau les mèches de cheveux avec du Xylol. La douleur était atroce. Cela nous brûlait. Notre crâne était très serré, compressé dans une serviette. Il a fallu patienter plusieurs heures avant de l’ôter.
Pour améliorer notre quotidien culinaire, un coin du jardin avait été transformé en potager : des radis, des haricots verts… étaient sortis de terre au printemps. Des voisins s’étaient chargés de cultiver des épinards.
Mais rapidement, il a fallu composer avec les Allemands qui ont réquisitionné la villa. Vainquant sa timidité, Maman s’est déplacée plusieurs fois à la Kommandantur pour obtenir gain de cause. Débrouillarde et maline, faisant valoir qu’elle était seule avec deux enfants, elle a posé ses conditions. Ainsi, elle ne voulait surtout pas partager les toilettes avec ces militaires allemands. Devant son insistance, ils ont finalement accepté de creuser des feuillets dans le jardin.
Avant leur arrivée, Maman nous avait mises en garde : « Surtout n’acceptez pas de friandises et de bonbons de leur part ». L’interdiction n’a pas été longtemps respectée. Ces soldats avaient aussi des enfants. Il n’y avait pas de raison qu’ils se conduisent mal avec nous. Corrects et respectueux, ils s’étaient installés au premier étage. Notamment dans notre ancienne chambre. Ils ont occupé notre villa et les maisons voisines pratiquement toute la guerre. Après cette année scolaire, je ne suis revenue qu’épisodiquement à Préfailles pendant la guerre. Le village étant en bordure de mer et proche de Saint-Nazaire, il fallait obtenir des autorisations pour s’y rendre.
Heureusement, je n’avais pas encore 14 ans. C’était pour moi plus facile que pour les adultes. À condition de signifier précisément aux autorités où nous comptions nous déplacer. Sur l’insistance de Maman qui souhaitait que je change d’air et dans la perspective de retrouver quelques amis, j’y ai effectué des courts séjours. Dans les derniers mois du conflit, venir à Préfailles fut encore plus dur ; les Allemands ayant constitué des poches autour des grands ports de l’Atlantique à partir d’août 1944. Celle de Saint-Nazaire dans laquelle étaient retranchés trente mille soldats et qui englobait Préfailles s’étendait depuis l’estuaire de la Vilaine jusqu’à Pornic.